L’intégration massive du numérique bouleverse le paysage médical. Selon la DREES, près de 90 % des médecins généralistes en France utilisent aujourd’hui, au quotidien, au moins une application ou un outil numérique spécifique à leur pratique(1). L’évolution ne se limite pas à la télémédecine : gestion du dossier patient, outils de diagnostic assisté par intelligence artificielle, applications de suivi thérapeutique, solutions de coordination... aucune spécialité n’échappe à la vague digitale.
Ce dynamisme est nourri par la multiplication d’applications dédiées. En 2023, plus de 350 000 applications de santé étaient répertoriées sur les stores mobiles (IQVIA Institute(2)), avec une croissance de 20 % en un an. Cette explosion pose la question de leur pertinence pour le soin, à l’heure où les promesses doivent être distinguées des usages à forte valeur ajoutée.
L’aide au diagnostic est l’un des domaines où les outils numériques apportent un bénéfice tangible. Les algorithmes d'intelligence artificielle intégrés dans certaines applications atteignent désormais des niveaux de performance comparables à ceux d’experts dans des domaines ciblés. En dermatologie, l’application Dermatology Assist peut, par exemple, analyser des lésions cutanées et alerter sur des suspicions de cancers avec une sensibilité allant jusqu'à 94,3 % selon JAMA(3).
Les ECG connectés ou les otoscopes numériques envoyant instantanément les données à l’expert permettent une prise de décision plus rapide et une orientation précise. Pour les actes courants, certaines applications (par exemple, ECG Check, CardioSignal) permettent d’identifier une fibrillation auriculaire avec une précision validée chez les patients à risque(4).
L’un des apports majeurs des applications réside dans le suivi ambulatoire. Près de 40 % des injections d’insuline chez les diabétiques sont aujourd’hui programmées ou surveillées via applications mobiles ou objets connectés selon la Fédération Française des Diabétiques(5). Les professionnels de santé bénéficient de rapports synthétiques, de notifications en cas de décompensation et d’une gestion des données centralisée.
Pour les patients atteints de maladies chroniques (diabète, asthme, insuffisance cardiaque), les outils d'auto-mesure et de télésuivi permettent d'améliorer l'observance et de limiter les rechutes. Une méta-analyse (The Lancet Digital Health, 2022(6)) a montré une réduction de 18 % des hospitalisations chez les insuffisants cardiaques suivis par applications contre monitoring standard.
La digitalisation permet une meilleure sécurisation des prescriptions et des actes. Les alertes d’interaction médicamenteuse, présentes dans la majorité des logiciels, contribuent à la réduction des accidents iatrogènes. Selon la HAS, jusqu’à 1 200 événements indésirables graves chaque année sont attribués à une absence de croisement de données (HAS(9)).
L’intégration d’outils comme Base Claude Bernard ou Thériaque dans les logiciels métier a permis de diviser par deux le risque d’erreur médicamenteuse (Étude ANSM, 2022(10)).
La multiplication des outils multiplie aussi les risques de fuite de données. En 2022, le CNIL a recensé plus de 200 signalements de failles de sécurité impliquant des applications de santé(12). La conformité RGPD, l’utilisation de serveurs certifiés HDS (Hébergement de Données de Santé), et le contrôle d’accès restent essentiels.
Le critère déterminant reste l’adéquation de l’outil à une problématique clinique concrète :
Quelques applications et outils largement plébiscités en France (source : Poll Medscape 2023) :
L’évolution numérique ne remplace pas l’expertise humaine, mais la complète efficacement. Les outils numériques, bien choisis et bien intégrés, libèrent du temps médical, améliorent la sécurité et dynamisent la coordination pluridisciplinaire, à la condition d’une sélection rigoureuse et d’une formation continue.
L’avenir de la pratique médicale repose sur l’équilibre entre technologie et relation humaine, chaque solution numérique devant être à la fois un gain d’efficience et un appui à la qualité du soin. Les innovations à venir, comme l’intégration de l’intelligence artificielle dans le triage des urgences ou la personnalisation des suivis chroniques, s’annoncent prometteuses – à condition qu’elles gardent pour boussole l’exigence clinique et la sécurité du patient.