Évolution du diagnostic des infections respiratoires : nouveaux marqueurs, nouveaux enjeux

Les infections respiratoires aiguës (IRA) représentent un motif fréquent de consultation, en ville comme à l’hôpital. La difficulté principale reste la distinction entre infection bactérienne, virale ou inflammatoire non infectieuse, car les signes cliniques se recoupent souvent. La prescription inadaptée d’antibiotiques, en dehors d’une confirmation bactérienne, contribue au développement de résistances, un enjeu de santé publique au cœur des préoccupations de l’OMS depuis plus d’une décennie (OMS, 2022).

Dans ce contexte, la recherche de biomarqueurs fiables s’est intensifiée. La procalcitonine (PCT) s’est imposée ces dernières années comme une aide précieuse, mais sa place fait encore débat. Une question revient en pratique : comment et quand s’en servir raisonnablement ?

Procalcitonine : physiologie, production et dosages

Découverte dans les années 1990 comme marqueur de la sepsie (Assicot et al., 1993), la procalcitonine est un précurseur de la calcitonine, normalement produit à un faible taux par les cellules C de la thyroïde. Mais en présence d’une infection bactérienne systémique, la production de PCT est inductible dans de multiples tissus sous l’effet des cytokines inflammatoires (notamment IL-6, TNF-α).

  • Chez le sujet sain : taux < 0,05 µg/L
  • En infection bactérienne systémique sévère : taux atteignant > 2 µg/L, parfois 10 à 100 µg/L
  • En infection virale ou inflammation non infectieuse : élévation très modérée, généralement < 0,5 µg/L

Le dosage est réalisable sur simple prélèvement sanguin, avec un résultat sous 2 heures dans la plupart des laboratoires hospitaliers. Il n’a pas d’intérêt isolé mais doit s’interpréter dans un contexte clinique et biologique (CRP, leucocytes, hémocultures…).

Performance diagnostique de la procalcitonine : données récentes

Sensibilité et spécificité dans les infections respiratoires

  • Pneumonies communautaires : Plusieurs études confirment une sensibilité d’environ 77% et une spécificité de 79% pour identifier une étiologie bactérienne à partir d’un seuil de 0,25 µg/L (Schuetz et al., 2017, Lancet Infect Dis).
  • Bronchites et exacerbations de BPCO : Valeur prédictive négative élevée (jusqu’à 90%), permettant d’exclure une surinfection bactérienne lorsque la PCT est basse.
  • Infections virales (grippe, COVID-19) : La PCT reste généralement basse, même en cas de symptômes sévères, ce qui aide à éviter la prescription d’antibiotiques (Hu et al., 2020, Clin Chim Acta).

Limites et pièges d’interprétation

  • Faux positifs
    • Syndromes inflammatoires sévères non infectieux : chirurgie majeure, brûlures, pancréatite aiguë.
    • Atteinte néoplasique, surtout médullaire thyroïdienne.
  • Faux négatifs
    • Infections localisées sans dissémination systémique
    • Début très précoce de l’infection (avant la montée du taux plasmatique de PCT)
    • Co-infection bactérienne/virale, notamment chez l’immunodéprimé

À noter : la procalcitonine n’est pas influencée, ou peu, par l’âge et le sexe, mais le taux peut varier chez la femme enceinte ou le nouveau-né.

Procalcitonine et décision d’antibiothérapie : recommandations et approches pratiques

L’utilisation de la PCT comme outil d’aide à la prescription ou à la dé-prescription d’antibiotiques est maintenant recommandée dans plusieurs référentiels, avec des modalités précises.

Seuils à connaître

Situation cliniqueTaux de PCTDécision recommandée
Absence d’élévation (<0,1 µg/L)<0,1 µg/LForte probabilité non-bactérienne : éviter l’antibiothérapie
Légère élévation0,1 à 0,25 µg/LInfection bactérienne peu probable : discussion, surveillance
Élévation significative>0,25 - 0,5 µg/LProbabilité bactérienne : considérer une antibiothérapie
Forte élévation>0,5 µg/L (voire >2 µg/L en sepsis)Très probable : indication forte d’antibiotique

Ces seuils sont variables selon les recommandations : par exemple, pour les exacerbations de BPCO, l’ERS/ATS 2023 recommande une non-prescription si PCT < 0,25 µg/L (sauf gravité clinique).

Impact sur la durée d’antibiothérapie

Plusieurs études multicentriques (dont ProHOSP, N Engl J Med 2009) ont montré une réduction significative de la durée d’exposition aux antibiotiques grâce au monitoring de la PCT : environ 2 à 4 jours de moins de traitement en moyenne, sans perte de chance. 

  • Diminution de 25% du recours inutile aux antibiotiques en IRA (Schuetz et al., Lancet Infect Dis 2017).
  • Réduction de la durée de séjour hospitalier et des coûts, sans impact négatif sur la mortalité (Briel et al., Cochrane 2017).

Quand et chez qui doser la procalcitonine ?

  • Patients avec tableau ambigu : fièvre, toux, infiltrats radiologiques sans signe évident d’infection bactérienne.
  • Situation à risque de sur-prescription d’antibiotiques : exacerbations de BPCO, infections pulmonaires nosocomiales, patients immunodéprimés.
  • Surveillance de l’évolution d’une infection grave : en réanimation, pour la décision d’arrêt des antibiotiques, un déclin de la PCT > 80% est rassurant.

Ce dosage reste inutile dans les infections respiratoires typiquement virales sans facteur de gravité.

Procalcitonine, CRP et autres biomarqueurs : comparatif et complémentarité

La CRP, marqueur inflammatoire historique, reste utile par sa bonne sensibilité (95% pour la détection d’inflammation), mais manque de spécificité : de nombreuses situations non infectieuses l’élèvent. À l’inverse, la PCT montre une élévation plus ciblée en cas de stimulation bactérienne, apparaissant plus rapidement (6-12h) et disparaissant à l’arrêt du stimulus.

MarqueurSpécificité BactérieDynamiqueUtilité principale
CRPMoyenneLente (24-48h)Suivi global d’inflammation
ProcalcitonineBonne à très bonneRapide (6-12h)Diagnostic étiologique, surveillance d’antibiothérapie
LeucocytoseFaibleVariableContexte, gravité

Les recommandations actuelles (HAS, 2022) soulignent l’intérêt d’associer paramètres cliniques, PCT et CRP, particulièrement en soins critiques, pour ajuster la prise en charge.

Freins, contextes particuliers et perspectives d’avenir

  • Accessibilité : La PCT est peu utilisée en première ligne (cabinet de ville), pour des raisons de coût (environ 20€ par test en France) et de disponibilité. L’arrivée de tests rapides pourrait généraliser son emploi d’ici quelques années.
  • Populations spécifiques : Sa valeur prédictive est moindre chez les très jeunes enfants, les immunodéprimés profonds (neutropénie prolongée), et en cas d’infection chronique.
  • Interactions médicamenteuses : Certains immunosuppresseurs (notamment inhibiteurs de l’interleukine-6) peuvent fausser son interprétation.
  • Intégration à l’IA et à l’aide au diagnostic automatisé : Des algorithmes de décision mêlant biomarqueurs, scores cliniques et imagerie émergent : la PCT y est fréquemment utilisée, avec l’objectif de personnaliser antibiothérapie et hospitalisation.

Les publications récentes insistent sur l’importance de ne pas baser une décision critique sur un seul paramètre : la PCT doit enrichir, mais non remplacer, l’analyse multidisciplinaire du cas patient.

Points clés et orientations futures

  • La procalcitonine est un marqueur fiable pour différencier infection bactérienne de cause virale en pathologie respiratoire, surtout à l’hôpital.
  • Son utilisation raisonnée permet de diminuer la prescription inappropriée d’antibiotiques, avec un bénéfice direct pour la santé publique.
  • Les limites d’interprétation obligent à ne jamais dissocier le résultat du contexte clinique : le dosage doit s’intégrer à une démarche globale.
  • L’accessibilité en ville reste perfectible, mais devrait progresser avec l’arrivée de tests plus rapides.
  • Les recommandations évoluent régulièrement, à suivre via les publications de la HAS, de l’ERS ou du CDC.

La procalcitonine s’impose comme un allié précieux pour une médecine plus rationnelle, aboutie et centrée patient. Rester à jour sur ses indications, y compris ses limites, enrichira la pratique quotidienne et contribuera à une meilleure maîtrise de l’antibiorésistance.

Sources principales : - Schuetz P et al. Procalcitonin to guide initiation and duration of antibiotic treatment in acute respiratory infections: an individual patient data meta-analysis. Lancet Infect Dis 2017. - HAS, Pertinence de la prescription des antibiotiques en médecine de ville, 2022. - OMS, Lutter contre la résistance aux antimicrobiens, 2022. - Hu et al., Clinical characteristics and laboratory results of COVID-19 patients. Clin Chim Acta 2020. - Briel M et al. Procalcitonin-guided antibiotic therapy. Cochrane Database Syst Rev. 2017.

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