Pourquoi ce diagnostic différentiel est essentiel

Les éruptions cutanées sont un motif très fréquent de consultation, représentant jusqu’à 20 % des motifs en pédiatrie (HAS, 2013), et un défi quotidien dans la pratique médicale. Parmi elles, les réactions allergiques et les infections virales dominent nettement. Savoir les différencier conditionne la prise en charge, limite l’errance diagnostique et, parfois, évite des complications sévères (choc anaphylactique, complications infectieuses, prescription inappropriée d’antibiotiques, etc.).

Comprendre les mécanismes : physiopathologie de base

  • Éruption allergique : réponse d’hypersensibilité immédiate (IgE médiée, type I) ou retardée (type IV). L’antigène déclenche la libération d’histamine et d’autres médiateurs inflammatoires, aboutissant à un prurit intense et des lésions spécifiques.
  • Éruption virale : la plupart sont secondaires à une viremie et une réaction immunitaire à l’infection. Certains virus ont un tropisme cutané direct (varicelle, herpès), d’autres une localisation systémique avec signes cutanés (rougeole, rubéole).

Critères cliniques discriminants : l’essentiel à l’interrogatoire

La consultation débute par un recueil ciblé des antécédents et la chronologie :

  • Début brutal ou progressif : une allergie médicamenteuse ou alimentaire se manifeste souvent brutalement peu après l’exposition. À l’inverse, les exanthèmes viraux ont fréquemment une phase prodromique.
  • Facteur déclenchant évident : prise récente de médicament nouveau (sulfamides, pénicillines, AINS, etc.), contact alimentaire ou environnemental spécifique, versus contexte viral épidémique.
  • Contexte infectieux : fièvre persistante, signes ORL ou digestifs, toux, asthénie, courbatures orientent plutôt vers une infection virale.
  • Atcd personnels/familiaux : un terrain atopique ou une allergie connue oriente vers la piste allergique.

Les caractéristiques semiologiques des lésions

Type de lésion Allergique Virale
Morphologie Urticaire (papule oedémateuse, fugace), érythème, œdème de Quincke, prurit +++ Maculopapuleux, parfois vésiculeux (varicelle), purpurique (parvovirus B19), distribution souvent caractéristique, prurit variable
Symétrie Souvent symétrique, généralisée Symétrique, parfois début localisé puis généralisation
Evolution Brutale, régressive rapidement à l’éviction Evolution en phase avec les symptômes systémique, parfois prolongée
Atteinte des muqueuses Possible (syndrome de Stevens-Johnson, urticaire aigu), grave si bulleuse Moins fréquent, sauf dans certains virus (herpangine, rougeole)
Autres symptômes Œdèmes, choc, hypotension (urgence allergique !) Fièvre +, syndrome grippal, conjonctivite possible

L’analyse de l’horaire et de la topographie : indices précieux

  • Allergique : lésion fugace, mobilité, parfois œdème du visage et des extrémités, respect des paumes/plantes sauf cas sévères. Prédominance du prurit.
  • Virale : souvent progression cranio-caudale (rougeole : face puis tronc puis extrémités), ou dissémination centripète/centrifuge (varicelle : “toutes les phases de sortie d’un coup”).

Atteinte systémique : vigilance sur les formes graves

Une atteinte systémique associée à une éruption cutanée évoque souvent l’infection virale mais doit systématiquement faire rechercher des signes de gravité allergiques : dyspnée, signes de choc, troubles de la conscience. Les chocs anaphylactiques sont rares (de l’ordre de 0,05 % des réactions allergiques médicamenteuses selon EMA), mais l’incidence des réactions cutanées médicamenteuses peut atteindre 3–5 % en population générale sous certains antibiotiques (HAS, 2019).

Signes d’orientation à l’examen clinique rapide

  1. Palpation : urticaire (lésion œdémateuse, rosée), purpura non effaçable (attention urgence infectieuse possible : méningococcémie)
  2. Prurit : intense dans l’allergie, variable dans le viral (sauf varicelle)
  3. Douleur : plus rare hors syndrome sévère (nécrolyse épidermique, zona)
  4. Aspect évolutif : vésicules à différents stades dans la varicelle, ”cocardes” dans le syndrome de Stevens-Johnson/Lyell

Examens complémentaires : place et indications

  • Biologie : pas systématique. Recherche d’éosinophilie en cas d’allergie, d’élévation de la CRP et de la numération leucocytaire (infection virale : leucopénie parfois ; allergie : majoration des polynucléaires éosinophiles).
  • Sérologies virales : utiles en cas de doute diagnostic (parvovirus B19, rougeole, rubéole, EBV, CMV).
  • Test de provocation/allergologique : toujours spécialisé, jamais en phase aiguë, réservé aux tableaux récidivants.

En pratique, moins de 10 % des exanthèmes en ville justifient un examen complémentaire (Société Française de Dermatologie, 2018).

Astuces sémiologiques et pièges classiques

  • Faux urticaire viral : les éruptions de type ”urticarien” peuvent se voir dans les viroses récidivantes chez l’enfant (adénovirus, entérovirus), mais sont généralement moins prurigineuses.
  • Purpura : tout purpura fébrile doit faire redouter une infection grave (méningocoque). L’allergie pure sans fièvre donne rarement un purpura vrai.
  • Prise médicamenteuse récente : Penser au DRESS (Drug Rash with Eosinophilia and Systemic Symptoms), avec fièvre et polyadénopathie associées, qui peut simuler un viral mais met en jeu le pronostic vital. Survient typiquement après 2 à 8 semaines de prise, avec un taux de mortalité pouvant atteindre 10 % (New England Journal of Medicine, 2014).

Aides visuelles et ressources en ligne : pour aller plus loin

Utiliser les bases de données d’images médicales pour se familiariser avec des présentations atypiques.

Conduite à tenir face à une éruption : check-list pratique

  • Isoler les signes de gravité d’abord : purpura non effaçable, signes anaphylactiques (urgence !)
  • Préciser l’exposition : médicament nouveau/repas/produit cosmétique ?
  • Rechercher une fièvre : forte fièvre prolongée : orientation infectieuse
  • Photographie systématique : pour suivi et envoi à un dermatologue
  • Surveillance rapprochée : recommandée pendant 24 à 48h pour les cas indéterminés avec symptômes généraux
  • Informer sur les signes d’alerte : retour immédiat en cas d’extension ou de nouveau symptôme

Focus pédiatrique : spécificités et vigilance

  • Chez l’enfant, 70 % des éruptions aiguës sont d’origine virale ; la vaccination en modifie parfois l’expression (roséole, rubéole, varicelle atténuée)
  • Le purpura, notamment associé à la fièvre, nécessite une évaluation médicale immédiate pour exclure une infection invasive
  • L’allergie alimentaire chez l’enfant (œufs, arachide, lait) donne souvent des lésions urticariennes isolées, parfois associées à des troubles digestifs

Résumé des points essentiels pour l’action

  • L’identification du contexte et la forme des lésions cutanées orientent le diagnostic : urticaire prurigineux et réaction immédiate suggèrent une allergie, exanthème fébrile et lésions polymorphes évoquent une infection virale.
  • La vigilance absolue : purpura, choc, atteinte muqueuse généralisée imposent une prise en charge urgente avant tout diagnostic exhaustif.
  • L’examen clinique reste central, les examens complémentaires rares excepté cas d’incertitude ou de signes de gravité.
  • S’appuyer sur la photographie et l’avis spécialisé quand l’évolution est atypique.
  • L’éducation du patient sur les conduites en cas de récidive ou d’aggravation joue un rôle clé dans le pronostic.

Pour approfondir, consulter : Société Française de Dermatologie, HAS, DermNet.

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